Au fond de la vallée du Goyen, dans un nid de verdure, se cache, près de son moulin, le manoir de Tromelin ou Tromeil. L’habitation actuelle, de construction relativement récente (début du XXème siècle) a remplacé un édifice du XVème siècle dont on n’a conservé que la porte. L’écu triangulaire placé au-dessus de cette porte devait jadis être armorié du blason de la famille de Tromelin : d’azur au lévrier passant d’argent.
Le manoir de Tromelin était encore intact au XVIIIème siècle. Il comprenait alors ses maisons, logements, écuries, cour close, chapelle, colombier, rabines ou allées, bois de hautes futaies faits d’arbres ayant au moins cent ans, bois de décoration, des garennes, terres froides et chaudes, prés et prairies. Au Midi de la cour se trouvait une grande écurie surmontée d’un grenier à foin, semblable à celle du manoir de Penquélennec en Peumerit.
Des anciennes constructions il ne reste plus rien depuis qu’on a démoli, il y a quelques années, le colombier. Le site a perdu de son charme et de son pittoresque du fait de cette disparition malheureuse. Majestueusement dressé sur un monticule ayant la forme d’un cône tronqué, ce colombier ressemblait de loin à un fortin destiné à défendre les approches du manoir...
Au début du XVIIème siècle, la terre de Tromelin comprenait la garenne de Keribit, les domaines de Tro-Beuzec en Meilars, Kerdalec, Kervendal, Tremathouarn-Uhela, Kernerben, le bourg de Guiler et, en partie, Lescoat, Poulguiler, Cosquéric et Kerliongar. C’était donc la plus grosse propriété de Mahalon, surtout lorsque par mariage la seigneurie de Lésivy se fondit avec celle de Tromelin.
De la seigneurie de Lésivy-Tromelin dépendaient encore : Kerloët en Meilars, le manoir de Penquelen en Meilars, Lesplomeur, la Magdelaine, Lescors, Le Run en Plomeur.
La seigneurie s’exerçait par Sénéchal, Lieutenant, Procureur d’office et Greffier. Les seigneurs de Tromelin possédaient divers privilèges et prérogatives, prééminences d’église, bancs, enfeus et chapelle prohibitive dans l’église paroissiale de Mahalon, un banc avec plusieurs écussons dans l’église tréviale de Guiler.
Henry de Tuonmelin qui avait édifié ce manoir était auditeur des Comptes et commissaire à la Réformation de la noblesse bretonne en 1443. Il mourut en 1449. Sa femme devait appartenir à la maison de la Couldraie (ou Couldraye). Il ne laissa qu’une fille qui était mariée à Jehan de Tréganvez. Leur fils, Jehan II, de Tréganvez, comparut en 1481 à la montre de Carhaix pour son père archer en brigandine, et pour sa mère, dame de Tuonmelin. La famille de Tréganvez était originaire de Tréganvez en Beuzec-Cap-Caval, où on la trouve en 1426. Nous la retrouvons, en 1545, à Plouhinec au manoir de Kerguennec. Jehan de Tréganvez devait avoir une jolie fortune pour l’époque puisqu’il reçoit injonction de présenter un homme d’armes complet à la montre de Carhaix en 1481. Il possédait en Plomelin la carrière de Kerrem dont on extraya des pierres pour la construction de la cathédrale de Quimper. Cette carrière était louée par la fabrique de la cathédrale en 1478 à raison de 10 livres monnaie par an, soit environ 300 francs de notre monnaie d’avant-guerre (Le Menn, Monographie de la Cathédrale).
Le fils de Jehan II de Tréganvez, Charles de Tréganvez, époux de Marie de Talhouet, mourut en 1524, et eut pour principale héritière sa fille aînée Marguerite qui, par son mariage apporta Tromelin à Ronan de Trémillec, originaire de Plomeur. En 1528, notre demoiselle Marguerite de Tréganvez, dame de Tromelin, présenta la chapellenie fondée dans la chapelle du Crucifix dans la cathédrale de Quimper par son aïeul Henry de Tuonmelin. En 1533, la même chapellenie fut présentée par Ronan de Trémillec, son mari (Le Menn, Monographie de la Cathédrale).
Décédée en 1534, Marguerite de Tréganvez fut inhumée dans l’église de Mahalon, dans la tombe de ses ancêtres. La même tombe devait, quatorze ans plus tard, recevoir aussi les restes de son mari. Son fils, Raoul de Trémillec, cité dans la Réformation de 1539 comme seigneur de Kerdal, lui succéda dans les seigneuries de Tréganvez et de Tromelin. Il mourut en 1547, un an avant son père. Marié vers 1538 à Jeanne de. Penguilly, il en avait eu plusieurs enfants. Un seul survivait, René de Trémillec, qui s’éteignit sans postérité en 1560. Sa succession fut recueillie par son oncle paternel Maurice de Trémillec [Note : Aveu rendu en 1561 pour Tromelin de Lésivy. (Archives de la Loire-Inférieure. B. 1235)].
Il semble que Maurice de Trémillec était issu du second mariage de Ronan de Trémillec avec Olive Bohyc ou Kerléan. En 1579, il épousa Louise de Botigneau, veuve d'Alain de Lezongar, et mourut en 1584, laissant de cette union un fils en bas âge, Toussaint de Trémillec, qui le suivit de près dans la tombe, et une fille nommée Anne, née en 1580, qui resta seule héritière des immenses domaines de Tromelin et des nombreux manoirs que possédait sa famille.
Anne de Trémillec (1580-1618) devait être déjà mariée à Jean de Jégado, seigneur de Kerollain, lorsque ce vaillant homme de guerre sauva la ville de Quimper dont la Fontenelle allait s’emparer (1597). Elle lui donna cinq filles et un fils. Quatre des filles se marièrent : Françoise à Pierre Poullain du Val Pontlo ; Anne à Charles Le Heuc, seigneur de Lestiala ; Julienne à Jean du Haffont de Lestrédiagat, et Marie à Yves de Quélen de la Crecholain. Le fils, Pierre de Jégado, seigneur de Kerollain, fonda dans son manoir de Kerlot, en Plomelin, une abbaye dont sa soeur, Élisabeth de Jégado, fut la première abbesse. Ce monastère fut ensuite transféré au monastère de l'Isle, non loin de l’endroit où se trouve en 1930 à Quimper le palais de Justice.
Pierre de Jégado, qui était écuyer de la petite écurie du roi et capitaine garde-côtes de l'Evêché de Cornouaille, mourut en 1657. Il avait épousé Françoise de Trécesson dont il n’eut qu’une fille qui mourut en bas-âge à Rennes. Pierre de Jégado et sa femme faisaient, paraît-il (Tallement des Riaux), très mauvais ménage. Les querelles étaient fréquentes entre les époux, et ce n’était pas sans raison. Il paraît que Françoise de Trécesson, comme diverses autres grandes dames de Rennes, se faisait fouetter jusqu’au sang pour obtenir, du diable sans doute, certaines faveurs. L’une de ces dames, une veuve qui désirait un riche mari et qui se faisait fustiger dans ce but, trouva un jour qu’on y allait trop fort, et s’écria : « Plus doucement, s’il vous plaît. J’aime autant qu’il soit un peu moins riche !... ». Nous ignorons le but précis pour lequel Françoise de Trécesson se faisait fouetter jusqu’au sang, et la faveur qu’elle cherchait à obtenir par ce procédé peu banal. En tout cas, son mari, qui n’aimait pas beaucoup ces façons, la chassa de sa maison. Elle dut se retirer chez sa mère, Gilette Hay, douairière de Trécesson, et y rester, car Pierre de Jégado refusa toujours de la recevoir, se bornant à lui payer une pension de 2.400 livres.
Comme ils ne laissaient pas d’enfants, la succession de Tromelin passa aux neveux de Pierre de Jégado, Pierre Poullain, sieur de Pontlo, et Guillaume Poullain, sieur du Val, tous deux fils de sa soeur Françoise.
La succession, que ceux-ci n’acceptèrent que sous bénéfice d’inventaire, était encore en liquidation en 1666. A cette époque, Guillaume Poullain habitait le manoir de Tromelin où il résida plusieurs années.
En 1672, la terre de Tromelin fut acquise judiciairement aux requêtes du palais à Rennes par le Marquis de Rosmadec sur les biens saisis sur le seigneur du Val Pontlo. Cette réunion au marquisat de Pont-Croix marqua le commencement de la décadence de Tromelin. Le manoir et son moulin, affermés alors 430 livres, étaient au siècle suivant afféagés pour la somme de 400 livres par an. En 1732, le manoir et ses 70 journaux de terre étaient loués à Jean Gloaguen pour 210 livres. Les moulins à eau du manoir de Tromelin étaient loués à part à la même époque aux héritiers directs de Mathurin Senecy pour la somme de 220 livres. Enfin, en 1778, le manoir appartenait à Madame de Forcalquier.
Pour nous résumer les Tuonmelin ou Tromelin se fondirent dans Tréganvez qui portaient écartelé aux 1 et 4 d’azur à 5 billettes d’or en sautoir, aux 2 et 3 de gueule à une tour d’argent. Les Tréganvez se fondirent dans Trémillec qui portaient de gueule à trois croissants d’argent. A leur tour, les Trémillec se fondirent dans Jégado avant 1597. Les Jégado portaient de gueule au lion d’argent armé de sable. C’est par mariages successifs que la seigneurie de Tromelin passa ainsi de famille en famille. Mais c’est par acquêt qu’elle passa en 1672 au Marquis de Rosmadec.
La famille Le Bars qui possède vers 1930 Tromelin se rattache aux Le Bars de Kerlambert, les riches marchands de Pont-Croix sous le règne de Louis XIII, que nous avons vu acquérir Poulguilou et Lescongar en 1640.