Assassin du curé de Buellas le 25 juillet 1729:
Tout commence à Buellas le 11 mai 1729. Nous sommes sous le règne de Louis XV.
Voici ce que rapporte le dossier 1B104 des affaires criminelles de l'Ain aux Archives Départementales :
« Ce 11 mai 1729 monsieur de la Teyssonnière seigneur des lieux et y demeurant, le jour d'hier à 7 heures le soir étant devant le cimetière de l'église de Buellaz, auprès de messire Guillot prêtre curé du dit lieu, ce dernier échauffé par trop de vin qu'il avait bu, et après avoir été en assez longue conversation, dit à monsieur de la Teyssonnière qu'il avait des fonds qui ne lui appartenaient pas. »
Suit ensuite une longue énumération d'histoires financières compliquées et difficilement lisibles. Bref la conversation porte sur des affaires d'argent.
On lit ensuite :
« Comme le dit Guillot étant plein de vin, il fit des réponses peu dignes de la bouche d'un ecclésiastique, il prononça des mots sales qu'il ne fallait pas dire. Il sauta sur le seigneur lui mettant le poing sur le menton, lui sauta au gosier, le traîna sur le cimetière, s'en suivit une bataille à laquelle se mêla la sœur cadette du dit curé Guillot, elle se jeta sur le suppliant, le prit aux cheveux par derrière, le traînant sur le cimetière. Le sieur curé étant à genoux sur la poitrine de monsieur de la Teyssonnière avec la main au collet pour l'étrangler, il lui mit les pieds sur l'estomac et lui donna plusieurs coups de pied contre la poitrine. On transporta le malheureux dans le soir au château, il aurait dû être laissé mort sur place si quelques femmes qui firent l'alarme à la voix et quelques hommes n'étaient pas venus. »
Le seigneur Louis Hubert de la Teyssonnière en réchappa et porta plainte contre cette voie de fait.
De son côté le curé Daniel Guillot, contestant toujours la propriété du terrain au seigneur, poursuivit son procès devant le bailliage de Bresse.
Quelques jours plus tard, à l’occasion de la visite de l’archiprêtre à Buellas, voici ce que celui-ci consigne dans le registre paroissial de la commune :
« Savoir faisons que le vingt sept juin an mil sept cent vingt neuf dans le cours de nos visites nous sommes arrivés à Buelle en Bresse où nous avons visité l’église paroissiale de St Martin du dit lieu et où nous avons aussi réconcilié le cimetière de la dite église pour avoir été pollué par l’effusion de sang causée à la tête de Mre Daniel Guillot curé du dit Buelle par Mr Louis Hubert de la Tessonnière qui le battit violemment le 10 may de la présente année. Fait au dit Buelle le sus-dit 27 juin 1729 en présence de Mre Daniel Guillot curé du dit lieu, de Mre Louis Ponthus curé de Montcé, de M Pierre Pobel et de M Philippe Thévenin, le dernier, domestique du dit Mre Guillot, et l’autre habitant du dit Buelle. »
On notera que la version des faits relatés par le curé Guillot devant son archiprêtre est fort différente de la plainte déposée par M. de la Teyssonnière devant la justice de Bourg !
Le dénouement de cette brouille est hélas tragique pour le curé de Buellas : le 25 juillet suivant, vers huit heures du matin, alors qu'il venait de célébrer une messe dans la chapelle des Capucins et qu'il arrivait sur la place d'armes de Bourg (actuellement place de l'Hôtel de Ville), « l'énergumène qui le guettait, s'élança sur lui et par deux coups redoublés de son épée, lui transperça le cœur. Le malheureux prêtre était bel et bien assassiné. Le lendemain 26 juillet 1729, en présence de ses confrères et de ses paroissiens, son corps était inhumé dans la collégiale Notre-Dame : il avait quarante-six ans.»
L'acte de sépulture du curé sur les registres paroissiaux de Bourg est très succinct mais, si vous allez consulter les registres paroissiaux de Buellas, vous allez être fort surpris de constater que l'acte relatant l'assassinat du curé Guillot a été entièrement raturé de façon à le rendre illisible. Ce crime de "lèse-parchemin" a peut-être été commis par l'un des descendants des seigneurs de la Teyssonnière qui aurait cherché à effacer cette tache propre à ternir la réputation de son nom. Il ne se douta pas que le curé de Cras-sur- Reyssouze avait également relaté l’assassinat en citant le nom du meurtrier.
La revue "Visages de l'Ain", qui a relaté l'histoire à sa manière dans son numéro du 3e trimestre 1956, a essayé de reconstituer l'acte des registres de Buellas :
« Le vingt cinq juillet 1729 jour consacré à la fête de St Jacques le Majeur Apotre, mr Daniel Guillot prêtre et curé de cette paroisse de Buelle étant allé le samedi précédent à Bourg pour se plaindre en justice d'une entreprise faite led jour par M Louis Hubert de la Teyssonnière écuyer et habitant dud Buelle contre l'ancien droit de MMrs les Curés au sujet d'un passage de la cure à l'église dud lieu fut par deux coups d'épée redoublés percé au coeur et assassiné sur le champ par led sieur de la Teyssonnière sur les huit heures du matin sur la grand place de Bourg, regretté généralement de tous ses confrères de tous les gens d'honneur et de toute sa paroisse qu'il avait servi pendant dix-sept ans avec toute l'exactitude et la satisfaction possibles. Ledit assassinat arrivé au moment que led feu curé venait de célébrer la ste messe de l'église des RP Capucins. En foi de quoi en présence du s Jacques Bordat prêtre curé de Luponaz, sr François ........... curé de Saint Rémy, sieur Jean Charles ............ bourgeois de Buelle etc ....(indication des témoins de l'acte ayant signé et les illettrés) et inhumé le lendemain dans l'église collégiale Notre-Dame de Bourg. »
N'essayez pas de rechercher la pierre tombale du malheureux curé Guillot dans l'église Notre-Dame, vous ne la trouverez pas. La révolution est passée par là et toutes les sépultures antérieures ont été détruites.
Une procédure a été entamée à l’encontre du seigneur de la Teyssonnière. Les pièces sont conservées aux archives départementales dans les archives de la justice criminelle du bailliage-présidial de Bourg toujours sous la côte 1B104. Je ne vous donnerai pas ici le détail de la procédure qui contient plusieurs dizaines de pages mais voici un extrait de la sentence à laquelle a été condamné le seigneur Louis Hubert de la Teyssonnière le 8 octobre 1729 :
« ... le condamnons à faire amende honorable enchainé de la corde au col tenant en ses mains une torche de cire du poids de deux livres au-devant de la principale porte d’entrée de l’église Notre-Dame de cette ville où il sera mené et conduit par l’exécuteur de la haute justice et là, étant nu-tête et à genoux, déclarer que méchamment il a assassiné le dit Me Guillot son pasteur dont il se repent et en demande pardon à Dieu au Roy et à justice. Ce fait, aura le poignet coupé sur un poteau qui sera planté devant la dite église, après quoi sera mené sur la place des Tenailles, lieu accoutumé à faire les dites exécutions, pour y avoir sur un échafaud les jambes, cuisses et reins rompus vif, et mis ensuite sur une roue sa face tournée vers le soleil pour y finir ses jours, ce fait son corps jeté au feu, réduit en cendres icelles jetées au vent ... »
Viennent ensuite une série d’amendes pour le roi, d’aumônes pour le soulagement des prisonniers de la ville et aussi « aux pauvres honteux de cette ville », pour un service solennel annuel à perpétuité tous les 25 juillet en l’église de Buellas ainsi que huit mille livres de dommages et intérêts au frère et aux sœurs du curé Daniel Guillot etc.
Quel jugement exemplaire ! Cependant il semble bien que Louis Hubert de la Teyssonnière n’ait jamais subi les supplices qui lui étaient promis. En effet, le jugement a été rendu par contumax (ou contumace), le seigneur n’ayant pas pu être « saisi au corps » par les sergents royaux aux ordres du procureur du roi. Qu’est-il devenu ? Grand mystère ... Les registres paroissiaux de Bourg et de Buellas ne font apparaître aucune sépulture à son nom dans les années 1729 à 1740. On ne trouve plus aucune trace de lui après ce triste 25 juillet 1729 mais gageons que sa puissance lui a permis de trouver quelque complicité pour fuir la justice des hommes et mener une autre vie sous un autre nom en attendant la justice de Dieu.
Note de l’auteur : La place ou bastion des Tenailles, lieu des exécutions, se trouvait à l’endroit où se trouve aujourd’hui la résidence pour personnes âgées Emile Pélicand, ancienne maternité de Bourg.
Gabriel RIVAT