Devenu avoué à Paris après des études de droit à Poitiers, Henry s’endetta rapidement à cause d’un train de vie extravagant qui poussa sa femme à la séparation en 1897. Il décida alors de partir pour l’Amérique avec la volonté de faire fortune par le cinéma naissant. Dans ce but, il s’associa à sa mère, qui devint la gérante de l’exploitation ambulante de cinéma appelée Historiographe Compagnie.
Le vicomte et la comtesse d’Hauterive, ainsi qu’ils furent connus au Canada, commencèrent à présenter des films à Montréal en octobre 1897. Ils étaient parmi les premiers à offrir un tel divertissement. Après quelques mois de spectacles lucratifs, ils entreprirent en 1898 une tournée des petites villes de la province de Québec ; ils attiraient le public en obtenant au préalable l’agrément des autorités civiles et religieuses. Ils visitèrent ensuite l’Ontario, puis poursuivirent leur périple sur la côte est des États-Unis en 1899 en visitant New York, Boston, Atlantic City, au New Jersey, et les petites villes environnantes. Leurs tournées s’étendirent bientôt jusqu’aux îles Bermudes, Saint-Pierre et Miquelon.
Jusqu’en 1906, le Québec fut le principal terrain d’activité de Grandsaignes d’Hauterive et de sa mère. Ils y revenaient chaque automne pour des tournées pendant lesquelles ils présentaient des dizaines de films – à l’époque, ceux-ci ne duraient que quelques minutes – dans les théâtres, les écoles et les salles paroissiales. Ils se servaient d’un projecteur baptisé Historiographe, actionné par une manivelle qui permettait de faire défiler la pellicule devant un objectif éclairé par une lampe à gaz. Les spectacles de l’Historiographe étaient reconnus et vantés pour leur qualité. On y retrouvait les films français les plus récents, surtout à caractère historique, achetés chez Charles Pathé et Georges Méliès, et coloriés à la main dans un atelier parisien. Grandsaignes d’Hauterive était renommé comme « bonimenteur », occupation aujourd’hui oubliée qui consistait à commenter verbalement les films muets. Les journalistes de l’époque vantaient presque unanimement son propos pertinent et volubile, autant en français qu’en anglais, durant les représentations.
Toutefois, la multiplication des salles de cinéma amena Grandsaignes d’Hauterive et sa mère à mettre fin à leurs tournées. Ils devinrent exploitants de salles à New York de 1906 à 1908, puis à Saint Louis, au Missouri, de 1908 à 1910 et enfin aux Bermudes et aux îles Saint-Pierre et Miquelon de 1910 à 1913. Leur activité fut finalement réduite puis enrayée par la monopolisation du cinéma américain, qui força les exploitants à s’intégrer à des réseaux auxquels ni le vicomte ni sa mère ne voulurent adhérer. Ils tenaient à rester indépendants et à exploiter leur cinéma de façon saisonnière, ce qui s’accordait fort mal avec les pratiques commerciales. Rentré en France en 1913, sans avoir fait fortune, Grandsaignes d’Hauterive occupa un poste de fonctionnaire à Rouen pendant la guerre et d’avoué à Paris de 1920 jusqu’à sa mort en 1929 (sa mère était morte en décembre 1920) ; il se fit alors plus connaître pour sa gaieté mondaine que pour son activité professionnelle.
Aristocrate insouciant et fonctionnaire sans importance en France, Henry de Grandsaignes d’Hauterive fut un audacieux pionnier de l’industrie cinématographique en Amérique du Nord, sillonnant le continent pour offrir un spectacle nouveau qu’il popularisa en ajoutant à l’intérêt des premiers films muets l’émotion d’une narration orale captivante. Durant ses années en Amérique du Nord, il persista à présenter des films français devant toutes les sortes de publics, en gardant la réputation d’un exploitant hors pair. Il lança dans la province de Québec une pratique qui subsisterait jusqu’en 1930 : le film muet avec boniment. Bien des gens firent connaissance avec le cinéma par son intermédiaire.