René-Claude Gueguen

Père Charles de Locronan

  • Né le 24 avril 1712 à Locronan
  • Exécuté le 16 novembre 1793 à Nantes, à l'âge de 81 ans

Parents

  • Guillaume Gueguen (1682 - 1757), sieur de Kermorvan, procureur fiscal des juridictions du marquisat de Névet, de Locronan, Guengat et Kerven
  • Julienne Rio

Occupations

  • prêtre

Notes

Le Père Charles de Locronan et ses compagnons victimes de Carrier.

Au cours de la période historique qui commence avec octobre 1793 et est connue sous le nom de Terreur, la cité de Nantes fut le théâtre de toutes sortes d’horreurs. Des milliers de Français y périrent victimes des supplices les plus divers : fusillades, guillotine, noyades. La Loire charriait fréquemment des cadavres, et il fallut bientôt défendre à la population de boire l'eau empestée du fleuve.

Un homme porte, dans l’histoire, la responsabilité de la plupart de ces crimes : le sinistre Carrier.

« C’est un procureur auvergnat, âgé de trente-sept ans, ardent au mal, mais jusqu’ici obscur. Il a naguère traversé Rennes où il s’est exercé à proscrire ; puis on l’a vu à Cholet, mais pas longtemps, car il s’est enfui au bruit de la bataille vendéenne. Le voici au terme de son voyage. C’est le 19 octobre 1793. Les Nantais contemplent avec curiosité, avec crainte aussi, leurs nouveau maître, de haute taille, maigre, le teint olivâtre, avec une barbe rare, des cheveux noirs tout plats, de grands bras agités de gestes faux. Son visage, juvénile encore, est déjà tout ravagé de débauches. Son regard, encadré dans des paupières toutes rouges, est fuyant et comme timide ; puis tout à coup il se fixe avec des impudences de charlatan ou se promène de tous côtés avec des lueurs féroces ; dans sa physionomie une expression rouée et irritable tout ensemble, et, par intervalles, quelque chose de convulsif et d’égaré. Tel il se montre, avec un aspect de corps malsain, enveloppant un esprit malsain aussi. Avant même d’attein­dre la ville qui sera sa proie, il a, dans des haltes de la route, tracé ces lignes : " Je ne quitterai pas la Bretagne que je n’aie livré tous les conspirateurs à la vengeance nationale " » (Pierre de La Gorce, Histoire religieuse de la Révolution française, t. III, 5ème édition, Paris 1919, p. 382-388).

Envoyé à Nantes pour y appliquer les décrets de la Convention, Carrier se montra digne de sa mission. Déjà, le Comité révolutionnaire de cette ville s’était arrogé le droit de vie et de mort sur les départements de l'Ouest ; mais il fallait au nouveau proconsul des agents plus expéditifs et plus dociles. Carrier organise un comité spécial comprenant un ouvrier carrossier, Lamberty, un ouvrier tonnelier, Fouquet, puis quelques-uns des membres du Comité révolutionnaire. Il crée deux compagnies chargées de faire des perquisitions et d’arrêter les suspects : l’une dite compagnie Marat, doit opérer dans Nantes, l'autre fouillera la campagne. Sans perdre de temps, ces deux équipes jettent dans les cachots des royalistes, des catholiques et de riches marchands. Les prisons regorgent de suspects. Cependant, au gré de Carrier, la fusillade et la guillotine sont trop lentes, et comme le Tribunal révolutionnaire ne peut suffire à la besogne, le tyran imagine une justice plus prompte ; les noyades.

Quatre-vingt-quatre prêtres sont détenus sur la galiote « la Gloire », ancrée dans la Loire. C’est sur eux que l’infâme proconsul va étrenner le nouveau supplice.

A son instigation, Lamberty achète un vieux chaland et, discrètement, le fait aménager par l’ouverture de sabords creusés un peu au-dessous de la ligne de flottaison. Ces sabords devaient être fermés, mais de telle façon que l’on pût aisément, en plein fleuve, les déboucher et noyer les victimes.

Le soir du 26 brumaire (16 novembre) 1793, Lamberty et Fouquet s’acheminent vers la Loire, ils s'assurent que leur chaland est prêt pour la sinistre besogne, puis se rendent à bord de « la Gloire ». Ils annoncent alors aux détenus qu’ils vont être transférés au château de La Motte, en Chantenay. Ceux-ci se voient enlever leur argent, leurs montres, tout ce qu’ils ont de précieux, et reçoivent en retour des paroles rassurantes. Avant de quitter la galiote, ils sont liés deux à deux avec des cordes, puis on les conduit au chaland qui les attend. Les vieillards pourtant ont pressenti l’effroyable supplice, et mutuellement ils se donnent une dernière absolution. Le chaland quitte la rive, accompagné d’un canot destiné à ramener les bourreaux. An moment où il passe devant le ponton de la Samaritaine, le factionnaire de ce poste intime à ceux qui conduisent le bateau l’ordre de s’arrêter. Lamberty et Fouquet produisent alors un ordre de Carrier, qui fait céder la sentinelle. « Un quart d'heure après, a déclaré plus tard le factionnaire, j’entendis de grands cris, et à la faveur du silence et de la nuit, je compris parfaitement que ces cris étaient ceux des individus renfermés dans le gabareau et que l’on faisait périr de la façon la plus atroce. Je réveillais mes camarades du poste, lesquels, étant sur le pont, ont entendu les mêmes cris jusqu’à ce que tout fût englouti » (Pierre de La Gorce, Histoire religieuse de la Révolution française, t. III, 5ème édition, Paris 1919, p. 388). Quatre-vingt prêtres venaient de succomber. Quatre seulement avaient pu gagner la rive à la nage : trois d’entre eux, trouvés à demi-morts sur le rivage, furent incarcérés et noyés le lendemain ; le quatrième, l’abbé Landeau, curé de Saint-Lyphard, fut recueilli par de charitables pêcheurs, réussit à se cacher et survécut encore six ans à l'horrible drame.

Sept fils de Saint François avaient péri dans la catastrophe : les PP. Nicolas Bernard et Pierre Remeur, Mineurs Conventuels, les PP. François Forget et Armel Pouessel, Récollets, le Père Charles de Locronan et les Frères Didace de Vannes, et Hyacinthe-Marie de Redon, Capucins.

Le 17 novembre, jour qui suivit le drame. Carrier adressait à la Convention une communication relative à la fête célébrée par le club Vincent de la Montagne, et il ajoutait en manière de post-scriptum : « Un événement d'un autre genre semble avoir voulu diminuer le nombre des prêtres : quatre-vingt-dix [Note : Réellement quatre-vingt-quatre] de ceux que nous désignons sous le nom de réfractaires étaient enfermés dans un bateau de la Loire. J’apprends à l'instant et la source en est très sûre, qu’ils ont tous péri dans la rivière. Quelle triste catastrophe ! ». Ce rapport fut le 8 frimaire (28 novembre) à la Convention, qui ordonna de l’insérer au Bulletin.

Dans la nuit du 8 au 9 décembre, toutes les horreurs de la première noyade sont renouvelées, et cinquante-huit prêtres, âgés ou infirmes pour la plupart, venus d'Angers trois jours auparavant, périrent dans les flots. Le lendemain, Carrier rendait compte à la Convention de l’événement, et il terminait son rapport sur cette gouaillerie cynique : « Quel torrent révolutionnaire que la Loire ! ».

Quelques mois plus tard, aux premiers jours de la réaction du 9 thermidor, Carrier montait sur l’échafaud. On a tenté de le réhabiliter, mais il restera coupable devant le tribunal de l’histoire. Ne disait-il pas lui-même en face des Conventionnels qui l’accusaient : « Nul ici n’est innocent, pas même la sonnette du Président ». Laissons le monstre et tournons nos regards vers quelques-unes de ses innocentes victimes.

Le Père Charles de Locronan, dans le monde René-Claude Gueguen de Kermorvant, naquit à Locronan le 24 avril 1712. Il était fils de Guillaume Guéguen, sieur de Kermorvant, procureur fiscal des juridictions du marquisat de Névet, de Locronan, Guengat et Kerven [Note : Ce Kermorvant Guéguen signe comme procureur fiscal au Cahier des délibérations de Locronan, de 1712 à 1725. En 1722, il apparaît comme "fabricqueur" de la grande église], et de Julienne-Marie Rio. Il fut tenu sur les fonts du baptême par René Halléno, chevalier, sieur de Saint-Alouarn, et Yvonne Le Becq, femme du sieur Bily, avocat au Parlement et juge de police à Quimper.

Docile au divin murmure qui l’appelait à l’état religieux, le jeune Charles consacra ses vingt ans au Seigneur, et le 4 novembre 1732 il faisait profession au convent des Capucins d'Hennebont.

Il avait déjà 78 ans d'âge et 58 de profession quand parut, en 1790, le décret de l'Assemblée nationale supprimant les voeux monastiques.

« 1°. L'Assemblée nationale décrète, comme article constitutionnel, que la loi ne reconnaîtra plus de vœux monastiques solennels de l’un ni de l’autre sexe ; déclare en conséquence, que les ordres dans lesquels on fait de pareils voeux sont et demeureront supprimés en France, sans qu’il puisse en être établi de semblables à l'avenir.

2°. Tous les individus de l’un et de l’autre sexe existant dans les maisons religieuses pourront en sortir en faisant leur déclaration devant la municipalité du lieu, et il sera pourvu incessamment à leur sort, par une pension convenable... Il sera pareillement indiqué des maisons où pourront se retirer ceux qui ne voudront pas profiter de la disposition du présent décret ».

Interrogé par les magistrats d'Hennebont sur le point de savoir s’il optait pour la vie commune ou pour la vie privée, le P. Charles, déjà infirme et presque aveugle, se décida pour la vie privée. S'il se rangeait à ce parti, c’est qu’il pouvait compter sur les services que le P. Félix de Vitré devait lui continuer, mais c’est surtout par respect pour le caractère sacré de sa profession religieuse.

On a souvent critiqué les religieux qui en 1791 sortirent du cloître et renoncèrent à la vie commune. Mais qu’était donc cette vie commune qu’on prétendait leur imposer ?

Notons d’abord le caractère schismatique d’une loi qui passait sous  silence ou plutôt supprimait les liens de subordination des religieux à l’égard de leurs supérieurs. Et puis quel fantôme de vie commune que celle à laquelle on voulait contraindre des religieux groupés au petit bonheur des quatre coins de l'horizon ! A vrai dire, en vertu même de sa profession le religieux fait vœu d’embrasser la vie commune, mais dans telle ou telle maison, dans telle ou telle province. Les Bénédictins par exemple font voeu de stabilité dans telle ou telle abbaye, les Dominicains ou les Franciscains optent pour la vie commune dans telle ou telle province. Les motifs de leur choix, au lieu d’être inspirés par quelque préoccupation futile, sont inhérents à leur profession même. Comment dès lors les blâmer si, voyant leurs droits manifestement violés par la loi républicaine, et répugnant à une vie commune toute factice, ils sortent du cloître et font choix de la vie privée !

Au début de l'année 1791, les Capucins du couvent d'Hennebont furent expulsés. Le vénérable Père Charles, au prix de mille fatigues, dut alors s’acheminer tout lentement vers la cité de Vannes. Un décret du 21 mars 1791 assignait le couvent de cette ville comme maison de vie commune pour les Capucins, les Conventuels et les Augustins.

Aux termes de la loi française, pour être admis à mener la vie commune dans un établissement, les religieux devaient y être au nombre de vingt au minimum. Aussi le Père Hyacinthe de Quimper, gardien (c'est-à-dire Supérieur) du couvent de Vannes, s’employait-il de tout son pouvoir à grouper dans sa maison vingt capucins. En dépit de ses démarches multipliées, au début d'avril, quatorze Capucins des diocèses de Quimper, de Nantes et de Vannes, avaient seuls répondu à son appel. Six autres ne purent, malgré leur promesse rallier à temps le centre de réunion, et, sur la fin de juin, les pauvres Capucins de Vannes durent dire adieu à leur couvent.

Où donc allaient se retirer ces malheureux ? Deux maisons, désignées officiellement pour les partisans de la vie commune, s’offraient à eux dans la région nantaise : un couvent de Conventuels situé en pleine campagne, affecté aux Religieux mendiants, et l’abbaye des Cisterciens indiquée pour les autres. Ils préférèrent le couvent des Capucins du Croisic, et munis d’une autorisation légale, ils purent bientôt s’y rendre par voie de mer. D’autres Capucins des couvents nantais et des autres maisons de la province de Bretagne vinrent sous peu les y rejoindre, et la petite maison du Croisic faite pour douze religieux, en logea dès lors vingt-sept. En voici la liste complète :

Pères :

Joseph de Saint-Brieuc, du couvent du Croisic.

Charles de Locronan, du couvent d'Hennebont.

Anastase de Landerneau, ex-Provincial, gardien de Quimper.

Hyacinthe de Quimper, gardien de Vannes.

Ignace de Quimperlé, gardien de Roscoff.

Dosithée de Guemené, du grand convent de Nantes.

Ferdinand de Rennes, gardien du Croisic.

Julien de Quintin, du couvent de Machecoul.

Alexis de Mamers, du couvent de Machecoul.

Siméon d'Auray, du couvent de Château-Gontier.

Clément, de Saint-Brieuc, du couvent de Vannes.

François de Bécherel, du couvent d’Auray.

Ambroise du Croisic, du couvent de Rennes.

Marc de Vannes, du couvent de Machecoul.

Chrysostome de Corlay, du couvent de Saint-Malo.

Fortuné d'Ancenis, du couvent de Saint-Malo.

Patern de Pontivy, du couvent de Brest.

Frères : 

Norbert de Saint-Méen, clerc, du couvent de Rennes.

Raphaël de Plaintel, clerc, du couvent de Rennes.

Hyacinthe-Marie de Redon, laïque, du grand couvent de Nantes.

Didace de Vannes, laïque, du grand couvent de Nantes.

Placide de Lesneven, laïque, du couvent de Vannes.

Augustin de Quintin, laïque, du couvent de Château-Gontier.

François de Nantes, laïque, du grand couvent de Nantes.

Gabriel-Ange de Vannes, laïque, du couvent de Vannes.

Séraphin de Brest, laïque, du couvent de Roscoff.

Martinien de Le Lude, laïque, du couvent dit Croisic.

Telle est la glorieuse nomenclature de ces héros qui fidèles jusqu’au bout à la vie commune de leur Ordre, devaient bientôt s’inscrire au tableau d’honneur des martyrs ou des confesseurs de la foi.

Heureux encore s'ils avaient pu en toute liberté, comme avant la Révolution, se sanctifier en vaquant aux exercices de leur Règle ! mais les beaux jours étaient passés. Les Capucins du Croisic choisissent pour Supérieur le Père Joseph de Saint-Brieuc et pour Econome le Père Ferdinand de Redon, mais ils doivent exprimer leurs suffrages sous les yeux d’un magistrat civil, qui semble présider la séance. L’église conventuelle, au surplus, devient un lieu de réunion profane pour les habitants de la bourgade ; et sous le moindre prétexte, nuit et jour, ce sont les visites inopinées des magistrats, qui font irruption dans le couvent, pour contrôler les travaux, établir des règlements, proclamer des décrets, découvrir de prétendues armes cachées ! …

Le couvent du Croisic était devenu une geôle, et encore ne marquait-il qu’une des étapes douloureuses du Calvaire que gravissaient les héros de la Foi !

Au début de 1792, tous les prêtres et religieux insermentés furent appelés d’office à Nantes, pour y être incarcérés. Trois Capucins du Croisic réussirent à s’enfuir. Cinq autres, pour raison de vieillesse et de graves infirmités, sollicitèrent la faveur de rester au couvent. L’autorisation accordée ne tarda pas à être retirée et force fut à tous les membres de la communauté du Croisic de se rendre à Nantes.

Logés dans des maisons particulières, ils devaient chaque jour répondre à l’appel que faisaient les officiers publics. Pendant 3 Mois ils furent l’objet de menaces, de promesses, de sollicitations de toutes sortes ; mais avec une constance admirable ils résistèrent aux divers moyens d’intimidation dont on usait à leur égard.

Tous les insermentés furent bientôt réunis dans une prison commune, d’abord au Séminaire de Nantes, puis à Saint-Clément, enfin au Château.

Ce qu’ils eurent à souffrir dans ces cachots successifs, de l'exiguité des locaux, de l’incurie des gardiens et de la privation du nécessaire, une lettre du médecin des prisons le révèle : « Tout leur manque, disait le docteur ; il y a là un tel entassement de malades et de vieillards que tous fatalement y succomberont ».

Un autre témoin se prononce dans le même sens : c’est le Père François Majeune, de l'Ordre des Conventuels, docteur en théologie et gardien du couvent de Nantes. Déporté en Espagne, il écrivait du couvent de Saint-François de Laredo au R. Père Ministre général des Conventuels, le 6 juillet 1794 : « Nul ne saurait dire combien nous avons souffert, pendant trois mois et plus, dans la prison de Nantes, moi et mes compagnons confesseurs de la Foi. Ce sont des horreurs, et je n’entreprendrai pas de vous les décrire. Mais que sont ces souffrances en regard de la palme céleste ! ».

Rien donc d’étonnant si parmi les prisonniers, un bon nombre passèrent de vie à trépas. Les autres se virent bientôt atteints par une nouvelle loi, celle du 26 août 1792 :

« Tous les ecclésiastiques qui, étant assujettis au serment prescrit par la loi du 26 décembre 1790 et celle du 17 avril 1791, ne l’ont pas prêté... seront tenus de sortir, sous huit jours des limites du district et du département de leur résidence, et dans quinzaine hors du royaume.

En conséquence, chacun d’eux se présentera devant le directoire du district ou la municipalité de sa résidence, pour y déclarer le pays étranger dans lequel il entend se retirer...

Passé le délai de quinze jours, les ecclésiastiques non assermentés qui n’auraient pas obéi aux dispositions précédentes, seront déportés à la Guyane française...

Sont exceptés des dispositions précédentes les infirmes dont les infirmités seront constatées par un officier de santé qui sera nommé par le Conseil général de la commune ; sont pareillement exceptés les sexagénaires, dont l'âge sera aussi dûment constaté.

Tous les ecclésiastiques qui se trouveront dans le cas des exceptions portées plus haut, seront réunis au chef-lieu du département dans une maison commune, dont la municipalité aura l’inspection et la police ».

D’entre les religieux qui avaient mené au Croisic la vie commune, trois s’étaient enfuis, deux autres, les Frères Placide et Séraphin, avaient gagné l'Italie. Quant à, ceux qui étaient incarcérés à Nantes, ils s’embarquèrent à destination de l'Espagne, sauf le Père Charles de Locronan et deux Frères qui, sous le bénéfice de la loi, demeurèrent en France.

Bien que les couvents de Nantes fussent transformés en prisons, les geôles ne suffirent plus bientôt à recevoir les captifs, qui affluaient de toutes parts. On fit donc, dans la nuit du 5 au 6 juillet, transférer les prêtres reclus sur la galiote « Thérèse », ancrée dans la Loire. Empilés dans les flancs du navire, ces pauvres vieillards, privés de linge et de vêtements, eurent terriblement à souffrir de la chaleur étouffante et des miasmes fétides qui s’élevaient de la rivière. La municipalité se laissa émouvoir par ces misères, et elle décida que les reclus de la galiote seraient transférés dans un couvent nantais, les Petits Capucins de l'Hermitage.

Quelle consolation pour les Capucins de pouvoir encore résider dans une maison de leur Ordre ! La chapelle, le cloître, le réfectoire, tout avivait dans leur âme le souvenir des années écoulées depuis leur profession, tout leur mettait au coeur la virile résolution de rester fidèles jusqu’au dernier soupir à leurs voeux de religion. Le couvent nantais des Capucins était fait pour une dizaine de religieux ; or les captifs y étaient au nombre de quatre-vingt-six, tous heureux d’être jugés dignes de souffrir pour le nom de Jésus !

Le 28 octobre, les héros de la foi furent internés dans la galiote « la Gloire », puis noyés dans la Loire le 16 novembre 1793.

Trois jours plus tard le cadavre du Père Charles de Locronan fut rejeté par la Loire sur la rive de Chantenay. Voici ce que nous lisons, en effet, au Registre des décès de cette ville :

« Le 19 novembre a été inhumé au cimetière de cette paroisse le corps d’un inconnu, âgé d’environ 80 ans, revêtu de l’habit des Capucins et celui du cordon de saint François ».

Deux Frères Capucins périrent avec le Père Charles dans les eaux de la Loire : le Frère Hyacinthe-Marie de Redon, dans le monde René-Joseph Le Grand, né le 25 août 1725 et profès du 7 octobre 1748 ; puis le Frère Didace de Vannes, dans le monde Pierre Steven, né le 18 septembre 1725 et profès à la date du 12 novembre 1750. Tous deux, compagnons du Père Charles à Vannes et au Croisic, lui furent associés dans la gloire du martyre...

A cette pléïade de confesseurs on peut ajouter un autre Capucin, le Père Dosithée de Guémené, dans le monde Michel-François Herpe.

Né le 24 août 1733, il fit profession de 4 avril 1762, au grand couvent des Capucins de Nantes. Ayant opté pour la vie commune, il séjourna à Vannes et au Croisic. Arrivé à Nantes avec ses compagnons, parmi lesquels était le Père Charles, il fut interné au Château, puis au Carmel. C’est dans cette dernière maison qu’il mourut.

Nous lisons an Registre des décès de Nantes :

« Le 5 mai, Michel-François Herpe, revêtu de l’habit des Capucins, a été trouvé noyé dans le puits des Carmélites ».

S'agit-il d’un accident, ou bien le vénérable religieux fut-il précipité dans le puits par un des gardiens de la prison ? On ne saurait le dire. Mais la deuxième hypothèse n’est point dépourvue de vraisemblance. Le Martyrologe des Frères mineurs au temps de la Révolution fait mémoire, le 5 mai, du Père Dosithée.

Telle est la gerbe glorieuse de Confesseurs que la Province de Bretagne des Frères Mineurs Capucins offrit à Dieu, au cours de la tourmente révolutionnaire. Parmi ces victimes, immolées par les persécuteurs en haine de la foi chrétienne, le Père Charles de Locronan a la première place. Vénérable vieillard, qui comptait, au moment de son trépas, 81 ans d'âge et plus de 60 ans de profession ! Nouvel Eléazar, il préféra la mort à la souillure, et quittant la vie, laissa par son trépas glorieux, non seulement à la jeunesse, mais à tous, un exemple de courage et un mémorial de vertu.