Laurent Esnoul des Chatelets, sixième enfant du précédent, est né à Lorient le 8 août 1749. Avant la Révolution de 1789, il était qualifié : écuyer, seigneur haut-justicier de la Saudraie, lieutenant des maréchaux de France, conseiller du roi, rapporteur du point d'honneur pour la noblesse de l’évêché de Vannes et juge au tribunal consulaire de Lorient. En dehors de ces distinctions honorifiques, il eut une grande situation comme armateur, à Lorient. Dans ses Mémoires, Laurent des Chatelets explique ainsi les circonstances dans lesquelles son frère Jean-Marie et lui prirent la succession des affaires de leur père: « Julien Esnoul des Chatelets (fils aîné de Julien-Bertrand) avait dès sa tendre jeunesse des dispositions pour l'état de marin; il s'embarqua pour l’lnde sur le vaisseau le Machault: commandé par son parent, M. de Mac-Mahon qui se joignit à l’escadre du comte d’Aché qui eut plusieurs combats à soutenir contre les Anglais qui voulaient s’emparer de Pondichéry. Après quelqu'uns, de ces combats, le vaisseau le Machault fut expédié par le comte d’Aché pour porter en France des nouvelles de son escadre et de ses succès, mais avec l'ordre, vu le risque d'être pris par les Anglais, de relâcher au premier port d’Espagne et cependant le plus près de France que le Machault pouvait aborder, qui fut la Corogne. Ce vaisseau, la guerre continuant, désarma et MM. de Mac-Mahon et Julien des Chatelets s'en revinrent à Lorient par terre, ayant pris des mules pour transporter leurs effets, lits et vivres, car, dans les hôtelleries d’Espagne, on ne fournissait rien aux voyageurs, si ce n'est le logement. Leur arrivée à Lorient fut célébrée par des sérénades. Le temps que Julien avait passé sur le Machault, les combats où il s'était trouvé, l'expérience qu'il avait acquise parurent des titres suffisants pour l'admettre enseigne de vaisseau; il fut embarqué sur la corvette la Légère, partie de Lorient en 1758, convoyant plusieurs bâtiments destinés pour le Sénégal, mais une forte tempête la sépara des bâtiments qu'elle convoyait, elle sombra sans doute et la Légère disparut corps et biens. Ce triste malheur n'était pas fait pour inspirer à Jean-Marie, son frère, le désir d’être marin; sa mère obtint de son mari que Jean-Marie fût destiné à lui succéder dans son commerce: cela arriva en 1769, lors de la chute et la dissolution de la Compagnie des lndes (erreur ici car la Compagnie des Indes n'a pas été dissolue à cette époque, mais c'est à ce moment qu'elle a perdu son monopole, notamment sous la pression des armateurs), mais conjointement avec son frère cadet Laurent quoique seulement âgé de 20 ans. » L'association des frères des Chatelets réalisée au moment de la déconfiture de la Compagnie des Indes, dont Lorient était le port d'attache, en 1769, offrait à leur activité une heureuse occasion de fortune. Ils surent en profiter, ils recueillirent les épaves de cette société célèbre, ils devinrent de puissants armateurs et, en 1775, cinq ans après leur début, le chiffre de leurs affaires atteignait 2.321.766 livres. Les frères des Chatelets avaient sauvé Lorient de la ruine dont la menaçait le destin de la Compagnie des lndes, leur situation et leur influence devinrent considérables, ils furent reçus à la Cour, à Versailles, avec distinction, et Jean-Marie devint maire de Lorient. En 1777, Laurent se maria. Il désira plus d’indépendance, d’ailleurs, les affaires de la société des Chatelets-Esnoul frères étaient si considérables qu’on pouvait les diviser sans inconvénients. La société fut dissoute d’un commun accord en 1778. Laurent fonda à Lorient une nouvelle maison ; il se fit armateur, affréteur, assureur maritime, commissionnaire et banquier ; il conserva aussi le commerce des tissus pour l’exportation et les besoins locaux, mais il le fit exercer par son beau-frère Barthélémy Offray de La Mettrie qu’il s’associa pour cet objet. Laurent eut des correspondants sur toutes les grandes places d’Europe et des colonies ; il faisait avec les colonies et surtout avec la Chine et l’Inde, un trafic considérable d’exportation et d’importation. En 1784 et 1787 des grèves de boulangers ayant éclaté en Bretagne, il y mit un terme en faisant l’exportation des grains. La grève de 1787 faillit lui coûter la vie. Une bande de grévistes armés attaqua sa voiture près de Lorient ; Laurent qui était d’une force physique peu commune, blessa mortellement le chef des assaillants mais fut lui-même grièvement blessé. A cette époque-là, comme aujourd’hui, l’autorité laissa se développer la grève, ne sut pas assurer la liberté du travail à ceux qui ne voulaient pas y prendre part et employa la main-d’œuvre militaire pour faire le pain. Les affaires de Laurent avaient pris un énorme développement, de 1769 à 1788 leur chiffre atteignit un total de 29.906.340 livres ; dans la seule année 1786 elles dépassèrent trois millions. Mais ce fut le chant du cygne. Le malaise qui précéda la Révolution se faisait déjà sentir, divers de ses correspondants firent faillite, le laissant à découvert de sommes importantes ; un de ses principaux débiteurs émigra et ne le remboursa pas, un de ses navires lui fut volé par son capitaine qui en disposa à son profit, etc. En 1788, Laurent voyant venir la ruine, prit le parti de liquider et ainsi il arriva à désintéresser intégralement tous ses créanciers. Il ne conserva que le commerce des tissus qu’il avait dû reprendre à la mort de son beau-frère de La Mettrie ; sa mère s’en chargea pour le laisser tout aux soins de sa liquidation devenue très difficile au milieu des troubles de la Révolution ; il dut le reprendre à la mort de sa mère ; enfin il abandonna complètement les affaires en 1812, et se retira à son manoir de Soye, près Lorient. Laurent des Chatelets fut toujours un ardent partisan du trône et de l’autel. Il n’émigra pas, mais il eut un grade dans les troupes de Georges Cadoudal. A l’époque du débarquement de Quiberon, en 1795, il fut arrêté et courut de grands dangers. A la fin des Cent-Jours, il joua un rôle important pour le rétablissement de l’autorité de Louis XVIII à Lorient et il reçut la décoration de l’ordre du Lys. Après avoir joué un rôle important dans sa ville natale, après avoir brassé tant de grandes affaires et remué bien des millions à une époque où cela était moins commun qu’aujourd’hui, Laurent des Chatelets vécut encore 17 ans, loin du bruit du monde, dans son manoir de Soye, où il ne jouissait que d’une modeste aisance. Les revers de fortune ne furent pas les seuls qui l’accablèrent. De ses dix enfants, quatre seulement lui survécurent, dont deux filles célibataire, et un fils, marié il est vrai, mais qui n’avait que des filles. Son frère Jean-Marie et ses deux neveux, fils de ce frère, le précédèrent aussi dans la tombe ; il devint le chef de la famille, il hérita de ses neveux des lettres de noblesse dont le roi Louis XVI avait gratifié leur père en 1783, mais ironie du sort, il en hérita alors qu’il pouvait prévoir qu’il n’aurait pas de petit-fils à qui les transmettre. Il opposa au malheur une résignation chrétienne, ses dernières années n’en furent pas moins profondément tristes. Laurent des Chatelets est décédé au manoir de Soye le 15 août 1829, son épouse qui était née à Saint-Malo en 1761 est décédée également au manoir de Soye le 21 mars 1834.
1777 / 1780 / 1784 / 1786 : conseiller du roi, rapporteur du point d'honneur au parlement de Vannes
1786 /1788 / Seigneur de la Saudraye
https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_058720